Nos défaites
Jean-Gabriel Périot, 2019, 94 minutes.
Jean-Gabriel Périot est sans doute connu d’abord pour ses films d’archives – de montage d’archives. Une jeunesse allemande en 2015 qui retrace l’histoire de la bande à Baader en Allemagne et plus récemment, Retour à Reims [fragment] en 2021, sur la classe ouvrière dans l’est de la France. Nos défaites échappent à cette orientation. Il n’y a aucune archive dans ce film, ni même de rapport au passé, à la culture du passé.
Nos défaites et le résultat d’un projet pédagogique, un travail d’animation avec une classe de première option cinéma du lycée d’Ivry-sur-Seine, en banlieue parisienne donc.
Le film repose sur un dispositif visant à favoriser l’expression des représentations et des idées politiques des lycéennes. Étant concerné par le cinéma, ils vont être plongés dans la réalisation et la conception du film, à la fois dans ce qui se joue devant la caméra mais aussi derrière.
Devant la caméra il leur est demandé de rejouer des scènes plus ou moins célèbres de films militants des années 68-70. Des scènes qu’ils vont interpréter avec une rigueur quasi professionnelle et dont ils vont régler le filmage.
Derrière la caméra ils s’occupent de la technique au niveau de l’image et du son, chacun ayant son poste comme dans tout tournage et ses responsabilités.
Dans un second temps, le réalisateur place ces mêmes élèves dans une situation d’entretien où il les questionne en premier lieu sur leur compréhension de la séquence qu’ils viennent d’interpréter et ensuite sur des sujets plus généraux concernant la politique au sens large.
En ce qui concerne la première partie, la compréhension des séquences interprétées, il apparaît que souvent certains aspects des intentions du cinéaste auteur ne sont pas vraiment appréhendées. La culture cinématographique des élèves est en cours d’acquisition, elle reste au moment du tournage du film plutôt lacunaire. De toute façon Jean-Gabriel Périot ne les interroge jamais sur les films dont les séquences sont extraites.
Le plus intéressant est la façon dont ils répondent aux questions concernant leurs connaissances politiques et leur conception de la vie politique. Les questions de connaissance sont précises, qu’est-ce qu’un syndicat par exemple. Surprise, aucun élève interrogé ne sait répondre. Les syndicats sont totalement ignorés, même ceux concernant les lycéens et les étudiants. Le niveau de conscience politique de la majorité de ces élèves reste relativement faible. Il leur est bien sûr difficile de définir ce qu’est la politique. Quelques-uns déclarent cependant ne pas rester indifférents au sort de la société et disent vouloir s’engager pour défendre les causes auxquelles ils croient. En tout premier lieu c’est la notion de liberté qui est au cœur de leurs préoccupations. Leur prise de position ne sont pas alors exemptes d’un certain idéalisme. Il faut remarquer qu’ils sont souvent plutôt mal à l’aise devant les questions qu’il ne se sont jamais posées. Leur hésitation contraste fortement avec l’assurance dont ils font preuve dans l’interprétation des séquences de films.
Le film de Périot a donc le grand intérêt de nous présenter une vision de l’adolescence contemporaine et de ses relations vis-à-vis des questions politiques. Il ne cherche pas à être représentatif de l’ensemble de la jeunesse. Nous sommes en banlieue et ces élèves sont inscris ce sont inscrits dans une section cinéma de lycée. Si leur connaissance des institutions est souvent mises en défaut il n’en reste pas moins que leur relation aux mouvements de contestation qui se développent dans les lycées au moment du tournage du film, et la répression dont ils sont l’objet de les laisse pas indifférents, comme le montre la dernière séquence du film.
Le film est le portrait d’une jeunesse sincère et généreuse. Et montre que la relation cinéma et politique peut faire l’objet d’un projet éducatif pertinent et nécessaire.
PS. Les séquences interprétées par les élèves sont extraites des films suivants :
La Salamandre d’Alain Tanner.
Avec le sang des autres, du Groupe Medvedkine Sochaux – Bruno Muel.
Camarades de Marin Karmitz.
La Chinoise de Jean-Luc Godard.
La reprise du travail aux usines Wonder de Pierre Bonneau, Liane Estiez-Willemont et Jacques Willemont.
Citroën Nanterre, Mai-juin 1968. D’Édouard Hayem et Guy Devart
A pas lentes du Collectif Cinélutte.
A bientôt j’espère de Chris Marker et Mario Marret.
Dicodoc
dicodoc.blog/2024/03/15/lyceens-en-politique/?fbclid=IwAR3SWkZ7_qPpOBNIBs__-c_P4Wb4J3BkVGT6rztTy2SqrEdEDF10DhZQ88ULycéens en politique